chapitre 3

lettre à papi
 ça fera 4 mois, demain, que je ne t'ai rien envoyé. alors je t'envoies cette lettre pour te donner de mes nouvelles. enfin il se passe pas vraiment de folies. regarde : mon arrosoir en plastique était complètement plein ce matin (parce que c'était un automne de pluies), et j'ai trouvé que ç'avait quelque chose d'amusant. enfin, j'avais aussi noté la flaque d'eau qui devait noyer le jardin; ce qui était bien plus triste en comparaison. pourtant, c'est l'image de l'arroisoir qui m'est restée en tête. d'ailleurs, il devait être neuf heures, huit et quelques, à ce moment. c'est là que je sentit le soleil briller de nouveau. le ciel ne m'avait jamais apparu si réel. ce matin-là, le monde ressemblait à toutes les peintures qui cherchent à le sublimer. c'est peut-être pour ça que tu dessinais des paysages. ouais, je pense que j'ai compris maintenant. mais aucun nuage en vue, zéro, rien, que dalle, nada, ni pataquas non plus (ça fait pas beaucoup). je ressentis instinctivement l'envie de me perdre dans un lac de nuages, quitter la maison un temps inconnu et y rester quelques heures, extensibles à envie jusqu'à ce que l'envie me prenne de partir. je crois que ce sont de très bons endroits pour réfléchir, et il me fallait certainement ça maintenant (c'était pas vraiment "la forme" cet automne. et sinon un papillon me passa tout près du nez. je monte donc dans le premier bus qui va pour un lac de nuages. il était neuf heures quatorze, et le souvenir m'est clair. il n'y a jamais personne à cette heure là. à l'arrêt ujaved : dieu monte dans le bus.
 enfin ce n'est pas si étonnant que ça en réalité : c'est un peu devenu quelqu'un comme tous les autres. surtout parce que c'est plus le même qu'à ton temps et celui-ci vit plus comme une personne de tous les jours. il vagabonde à droite, à gauche : c'est assez dur de savoir exactement ce qu'il attend mais je crois bien qu'il découvre encore notre monde et de toute façon on le retrouve trois quarts du temps au bord d'un plan d'eau : ce sont ses endroits de réflexion. l'eau repose notre dieu et ses idées. p'tet bien que c'est pour ça qu'il est toujours resté paisible ou p'tet bien que non en tous cas ça change du dernier dieu, que lui d'ailleurs on sait pas vraiment où il est parti : pendant un moment personne avait de dieu, faut imaginer comment ça devait être. finalement, l'esprit-monde déclara que tout le monde, partout, devait donner son grain de sable préféré pour construire un nouveau dieu. donc les gens firent exactement ça. et puis un groupe, dont je faisais partie s'est rejoint dans la maison aux fleurs qui nous a tous vu naître, pour assembler le sable et façonner dieu.. ce qui nous a pris tout l'aprèm. l'esprit-monde décida de donner vie à notre sculpture et l'a appelée chelann. eh bah c'est lui que j'ai vu dans le bus. dieu sentait la même odeur que les nuages d'un jour d'octobre. comme ça, nous savions c'était un bon dieu.
 en entrant, chel' cogna ses cornes contre les portes du bus, salua les passagers communement puis s'assit dans un des sièges à l'arrière qui font dos à la route. juste pour que tu sâches au cas où tu le verrais (on n'sait jamais) dieu a forme humaine, comme nous. mais dieu a été formé de masse noire comme un morceau emprunté à l'univers lui-même; et nous voyons des étoiles, lointaines, scintiller dans ses mains. l'esprit-monde avait décidé de lui retirer la chair pour que Chel se souvienne pour toujours de son caractère divin et ne s'oublie pas au milieu des hommes.. donc pas comme le dernier quoi. seul ses yeux percent l'obscur de l'espace. l'esprit-monde avait aussi décidé de lui faire porter deux bois, tels ceux qu'ont les cerfs.
 j'hésitais un peu, puis je me suis assis à côté de Chel. pour lui parler.
 - Chel au regard voyageur, comment allez vous ? je suis café, vous rappelez vous de moi ? votre présence m'apparait au moment le plus propice. voyez comme je m'interroge. vous semblez si serein face à notre monde, comment réussissez vous à faire la paix avec lui, qui agit avec tant de cruauté parfois. je recherche moi-même la réponse à ce problème, guidez-moi. je vous en prie.
 chel me fixa du regard pendant une poignée de secondes - qui paraissaient une éternité - fit un très grand sourire et finalement me répondit :
 - bah. chel rigola un petit peu, puis reprit. je vais bien et me trouve grandement reconnaissant de ton attention. bien sûr que je me souviens de toi, le souvenir de vous tous est ma responsabilité. tu as vu les papillons voler ce matin, d'ailleurs ? je les ai tissés au clair de lune au bord de ma fenêtre. mais maintenant, ta dernière question m'est bien plus mystérieuse que les autres. sauras-tu que mon titre de dieu ne m'a pas accordé l'omniscience. [...]
 il rit une dernière fois, et descendit du bus à l'arrêt où, moi aussi, je prévoyais de descendre. mais cet échange me laissa, étrange. je ne descendit pas du bus, attendit au terminus. je suis allé en ville, un peu, voir les hauteurs. il y a un coin, plein de graffitis, où l'on peut regarder la ville vivre et où le son ne nous atteint pas : c'est un tout petit parc, sur le côté d'une ruelle, dont la porte pour y accéder n'a jamais été ouverte; il faut passer par dessus le haut grillage vert en fer blanc pour y entrer mais la vue ensuite en vaut le coût. c'est mon endroit préféré.
 en ce moment j'essaie de comprendre un peu plus ce que tu me disais quand j'étais petit, sur la vie, sur quoi faire et tout ça. je suis un peu perdu mais t'as vu au moins j'fais de mon mieux. quand j'y arrive. avec un peu de chance on aura une occasion de se revoir dans les prochaines semaines. à plus !
- café
 j'ai rangé cette lettre dans le grand carton qui contient toutes les autres lettres que leur destinataire ne recevra pas. et puis je suis allé boire un verre d'eau.